Le 8 décembre – JE “Ce que francophone veut dire”

Du 18 au 22 septembre 2017, s'est tenue à Paris, une université d'été qui a porté sur la question de la diversité ethno-culturelle dans les arts et médias français, que Kaoutar Hardi a co-organisé avec Laurent Martin, professeur d'histoire à l'université Paris, et avec le soutien du réseau Paris Sorbonne / USPC. Dans la continuité de cette université d'été, est organisée, à Paris, le 8 décembre 2017, une journée d'études intitulée ''Ce que francophone veut dire. Critique sociologique d'une catégorie littéraire ambivalente".
Cette JE se tient à l'Amphithéâtre Durkeim, Sorbonne, 14, rue Cujas 75015 PARIS. Inscription obligatoire par courriel via : kaoutar.harchi@sciencespo.fr
Avec le soutien de Cerlis Paris-Descartes, Icee Sorbonne Nouvelle, Université Paris Sorbonne Cité.
Comité scientifique: Kaoutar Harchi, Bruno Péquignot, Laurent Martin
Comité d’organisation: Kaoutar Harchi, Camille Mérité
Le programme : progr francophonie

Héritant d'un lourd passé colonial mais aussi d’une conception de la république comme régime centré sur les droits et devoirs du citoyen indépendamment de ses caractéristiques particulières ou de ses appartenances communautaires, la France de la deuxième moitié du XXe siècle a promu « l'intégration culturelle sans la reconnaissance des cultures spécifiques, et la mise en place de politiques de la diversité sans la reconnaissance des groupes. »  (Angéline Escafré-Dublet 2014). De là découle une insuffisante prise en compte de la diversité ethno-culturelle par les politiques publiques de la culture et ce à deux niveaux au moins : celui des publics et celui des professionnels. L'absence de données chiffrées sur la fréquentation ou la non-fréquentation des institutions culturelles par des personnes issues de l'immigration plus ou moins récente ou appartenant à telle ou telle ethnie ou culture, ou aux « minorités visibles » ou racialisées, si elle peut s'expliquer et même se justifier, rend en tout cas objectivement plus difficile la mise en place de politiques qui cibleraient ces populations. A partir de ces éléments, les chercheurs ainsi que les représentants des mondes associatifs, militants, institutionnels et politiques s’intéresseront à la question de la mesure de la diversité culturelle, aux controverses provoquées par la notion de multiculturalisme, aux pratiques de programmation culturelle, aux processus de formations professionnelles, à la prise en charge des publics, etc. Dans la continuité de cette université d’été, une journée d’études est organisée qui vise à interroger une dimension constitutive de la diversité ethno-culturelle dans les arts, soient les conditions sociales de participation des écrivains étrangers de langue française, à la vie littéraire en France.

Les littératures de langue française dites « francophones », dont la littérature française « de France » tend à être exclue, sont hétérogènes. En effet, l’histoire de l’aire culturelle en question, le contexte de production, les thèmes d’écriture, les esthétiques développées, rendent les littératures du Liban, du Sénégal, de Belgique, de Tunisie, irréductibles les unes aux autres. Seule régularité historiquement observable, et des plus intéressantes : l’attraction qu’a exercée le centre littéraire parisien sur les producteurs. Car Paris dispose du « monopole de la légitimité littéraire, c’est-à-dire, entre autres choses, le monopole du pouvoir de dire avec autorité qui est autorisé à se dire écrivain et qui a autorité pour dire qui est écrivain, ou, si l’on préfère, le monopole du pouvoir de consécration des producteurs et des produits » (Bourdieu 1992 : 303). En cela, la condition des écrivains de langue française, en France, pourrait être appréhendée à l’instar d’une expérience de la domination dont le déplacement  serait l’une des formes les plus sûres. Déplacement matériel d’un espace périphérique pauvrement doté en capitaux littéraires vers un espace centralisé qui, au contraire, en est riche. Déplacement symbolique, aussi, d’une langue faiblement reconnue comme littéraire vers une langue, au contraire, perçue comme langue de la Littérature.

Ce dernier déplacement d’ordre linguistique – conséquence du régime d’hétéronomie dans lequel évoluent les écrivains étrangers de langue française en France (Casanova 1999) – est présenté par certains comme une décision délibérée, un choix mûrement réfléchi, un acte pleinement volontaire. Parfois même, ce déplacement vers la langue française devient le sens de l’écriture elle-même. Citons, par exemple, les propos de l’écrivain russe Andrei Makine : « Le français m'a toujours baigné et a encouragé, stimulé mon amour pour la littérature française ». Pour d’autres, au contraire, écrire en langue française est une déchirure, la rupture définitive d’un lien mythifié désormais ineffable, une perte absolue. Citons ici les propos de l’écrivain algérien Kateb Yacine : « Ainsi avais-je perdu tout à la fois ma mère et son langage, les seuls trésors inaliénables - et pourtant aliénés ».  Existerait alors un « système de la langue » (Bourdieu, 1982) en fonction duquel les écrivains étrangers, ayant développé une « surconscience linguistique » (Gauvin, 2009), se positionnent.

L’épithète « francophone » cristallise à lui seul un grand nombre de tensions. Dans une acception linguistique stricte, « francophone » signifierait « d’expression française ». Or l’usage social fait de ce terme renvoie davantage à une distinction entre ce qui relèverait de la « littéraire française » de France et ce qui y prétendrait sans toutefois y parvenir. « Francophone » désignerait alors moins un état qu’une organisation hiérarchique des productions littéraires (et plus globalement des flux de savoirs), à un niveau international. Dans le cadre de notre journée d’études, nous souhaiterions donc poser la question des conditions sociales d’apparition du terme « francophone », ainsi que celles de son usage, de ses investissements, de ses récusations ainsi que de son maintien.

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