Le 16 décembre 2021 – Soutenance de thèse de Suzanne Gruca

Soutenance de thèse de Suzanne Gruca intitulée « Performances poétiques, résistance politique. Approche sociolinguistique des chants de coplas du nord-ouest argentin » le 16 décembre 2021, à 15 heures, dans la salle des thèses du Centre Universitaire des Saints-Pères de l'Université de Paris (Bâtiment Jacob, 5e étage) au 45 rue des Saints-Pères , 75006 Paris. 

 

Le jury est composé de : 

  • Igor BABOU – Université de Paris (Examinateur) 
  • Cécile CANUT – Université de Paris (Directrice) 
  • Alessandro DURANTI – University of California (Rapporteur)  
  • Luca GRECO – Université de Lorraine (Rapporteur) 
  • María Eduarda MIRANDE – Universidad de Jujuy (Examinatrice) 
  • Maud VERDIER – Université Paul Valéry (Examinatrice) 

Résumé de la thèse : 

À partir de la notion de « résistance infrapolitique » élaborée et développée par James Scott (1992), ma thèse questionne les enjeux sociolinguistiques et sémiotiques de résistance d’une pratique de chant communautaire appelée la Copla– dite aussi canto de coplas (« chant de coplas ») ou canto con caja (« chant au tambour ») –, traditionnellement performée en rondes collectives pendant la période du Carnaval dans la région de la Quebrada de Humahuaca à Jujuy, en Argentine. En 2003, la Quebrada de Humahuaca s’est retrouvée classée au Patrimoine mondial de l’Unesco. Depuis, les pratiques sociales et langagières de ses habitant·es ont été redéfinies en tant que « patrimoine culturel immatériel » de la région. Dans ce contexte, la pratique de la Copla se voit aujourd’hui régie par un discours institutionnel politiquement dominant. Véhiculé par les institutions patrimoniales et gouvernementales locales, repris par les médias et remis en circulation par les habitant·es de la région eux·elles-mêmes, ce discours exerce une action sur les corps et le langage poétique des copleros et copleras (chanteur·ses de coplas), les encourageant à performer selon un dispositif scénique. Du fait de cette nouvelle forme individuelle, statique et monologale du chant de coplas, on assiste à l’émergence d’un univers de sens parallèle, en compétition mais aussi en interrelation constante avec celui de la pratique en rondes. Loin d’être « remplacée » par le dispositif patrimonial, la Copla en rondes perdure – souvent simultanément, dans un espace partagé avec les performances scéniques pendant les festivals – et semble vivre son propre processus de resignification en réaction à ces nouvelles formes. À partir d’une longue ethnographie menée entre 2017 et 2019 auprès des copleros et copleras de la Quebrada de Humahuaca (et plus spécifiquement autour du village de Tilcara), j’explore un corpus hétérogène d’enregistrements audio, vidéo, d’observations multi-situées, de discours sur la pratique et de documents institutionnels et médiatiques. Par une approche mêlant les apports théoriques et méthodologiques de la sociolinguistique critique, de l’anthropologie linguistique nord-américaine, de l’interactionnisme et de l’analyse du discours, ma thèse examine les enjeux et les mécanismes de résistance infra-politique de la Copla en tant que langage corporel, poétique et musical. Dans une première partie, je présente le contexte socio-historique, politique et ethnographique de ma recherche, ainsi qu’une analyse du discours institutionnel et dominant sur la Copla. Dans la seconde partie, j’examine la manière dont les copleros et les copleras construisent le sens de leur pratique par la mise en relation du chant à son environnement spatio-temporel, au monde naturel et surnaturel ainsi qu’à leur propre corps et à son expérience située. J’interprète alors ces relations comme les soubassements d’une résistance qui s’élabore avant toute chose par la construction collective d’un univers de significations situé, incarné et « expériencé ». Dans la troisième partie, j’analyse les mécanismes de résistance infra-politique qui se jouent au niveau interactionnel au cours des performances du chant de coplas, en montrant que ceux-ci se manifestent à la fois au niveau corporel, poétique et politique. Je m’attache ainsi à démontrer que cette résistance se joue non seulement à l’encontre du pouvoir des instances dominantes – qui tentent aujourd’hui de contrôler, normativiser et folkloriser la pratique –, mais également et essentiellement en faveur d’un certain rapport à l’expérience corporelle et sensorielle, à l’environnement et au langage poétique lui-même, inscrit dans un univers de significations régi par des règles qui lui sont propres. 

Mots clés : canto de coplas, résistance infrapolitique, patrimonialisation, sociolinguistique, performance, langage et corps, nord-ouest argentin.

Comments are closed.